Mutations sociétales et transformations numériques
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Concilier dépassement de fonction et organisation (1)

Bertrand Duperrin, sur Envie d’entreprendre, évoque le « french flair », et fait un parallèle intéressant entre le jeu de l’équipe de France de rugby, et la façon dont concevoir et concilier le « dépassement de fonction » dans l’organisation.

Je ne connais pas (très peu !) le rugby, mais il me semble que la professionnalisation et la hausse de popularité et démocratisation de ce sport, induisent très probablement une certaine forme, croissante, de management par la peur. Si l’on se plante, l’on subit en effet désormais plus fortement les conséquences : financières, voire la porte. L’entraîneur, les joueurs, tout le monde est concerné.

Une économie de risques préserve donc, en effet, contre celui de faire des erreurs … mais garantit presque aussi sûrement de collectivement moins bien réussir, puisque chaque élément aura intérêt à se limiter à des actions individuellement sûres et de faible portée.

Concilier cerveau gauche et cerveau droit

La professionnalisation et la répétition permettent d’améliorer la connaissance et la qualité de l’action unitaire, et de réduire l’erreur. Mais trop « rationnel », le système est trop fermé : l’équipe se contente d’un jeu programmé, guidé par des règles, des méthodes, des habitudes, des réactions et interactions prévisibles, et téléguidé depuis le banc de touche par l’entraîneur. Les actions individuelles, en particulier celles d’interactions, sont plus sûres, mais ne signifie pas que le collectif avance mieux.

A l’inverse, trop créative, trop libre, l’équipe pratique un jeu plus visuel et plus intuitif, certes producteur de coups de génie, mais inévitablement aussi des plantages induits par toute démarche de ce type. (heurts dans les interactions, erreurs de calcul, tentatives ratées) Ce mode d’action permet d’imaginer, concevoir des solutions nouvelles, et est un bon propulseur, qui permet au système dans son ensemble d’avancer plus largement.

Or, comme le dit Bertrand, organisation poussée à son paroxysme ou liberté créative dans le jeu ont leur limite et aucune ne permet, seule de gagner. Le mouvement optimal intègre bien les deux.

En définitive, l’une des voies de succès réside dans la persévérance et l’apprentissage. Car plus la professionnalisation et l’instinct de situation seront assimilés, « bien digérés », et intégrés, plus ils seront capable d’interagir optimalement : leur combinaison deviendra au fil du temps toujours moins hésitante, plus fluide. Par la connaissance qu’elle acquiert d’elle-même, l’équipe sera de mieux en mieux capable de solliciter au bon moment son cerveau gauche ou son cerveau droit pour obtenir de beaux et larges résultats, tout en réduisant les heurts et les erreurs induits par un jeu de plus grande envergure.

Les méfaits du management par la peur

SAUFsi au premier plantage, on efface tout, on change les joueurs, et on recommence le championnat avec d’autres et en prenant moins de risques.

L’apprentissage social étant une bonne façon d’optimiser les interactions (plus l’on connaît le reste de l’équipe, plus l’imprévisible devient prévisible), changer les joueurs en pensant que tout ira mieux risque surtout d’obliger à refaire tout le travail.

Quant à l’introduction de sanctions (financières ou autres), elle va plus certainement inciter à abaisser le niveau de jeu en limitant la prise de risques, et l’on en revient à l’énoncé de départ : cela reviendrait à considérer que le ou les joueurs en cause sont « individuellement fautifs ». Or sauf exception notable, c’est plutôt la façon qu’a l’assemblage d’apprendre à mieux marcher : en tombant, comme tout le monde.

La perfection n’étant pas de ce monde, les premières observations qui me viennent à l’esprit sont qu’une part, plus ou moins importante, de « dépassement de fonction », passe sans doute inévitablement par ce genre de tâtonnements, mais est aussi le meilleur moyen de jouer plus payant et plus vite. Tirer parti du dépassement de fonction suppose donc d’être conscient de cette part d’aléa, de comprendre comment en limiter le coût à terme, tout en ne commettant pas l’erreur de tout abandonner au premier raté.

Donc limitons l’effet « management par la peur » et souvenons-nous que chacun apprend en permanence, en particulier en faisant des erreurs : cela permet de les corriger, donc d’être « meilleur » ensuite !

Dépassement ou évolution ?

Bertrand pose les conditions de transposition dans l’entreprise de cette problématique de « dépassement de fonction ».

Je me suis aussi demandée si l’énoncé même du problème ne risquait pas d’emblée de pervertir sa mise en œuvre : car est-ce bien « d’autoriser » un dépassement de fonction, de « permission », de « tolérance » individuelle, ou encore de situation à laquelle « remédier », qu’il s’agit ?

Ce serait admettre que le mode optimal de jeu serait celui par défaut où chacun exécute strictement et de façon programmée, son propre rôle, sans se préoccuper aucunement de l’avancée du tout ; mais que, pour des raisons obscures d’exception notable à la règle, untel ou untel disposerait de la possibilité d’écarts de conduite.

Si tel est le cas, ce peut être l’indice que celui-là a plus certainement sa place à un autre poste, et sans doute faudra-t-il déjà revoir la fonction elle-même ?

Mais est-ce que l’enjeu n’est pas plutôt de parvenir à ce que tout le monde s’efforce au dépassement de fonction, et que l’ensemble des dépassements tende à s’harmoniser vers un nouvel état « plus avancé » que le précédent, et ainsi de suite ? Auquel cas, cela fait tout reposer principalement sur l’organisation :

  • Il faut d’une part que cet état vers lequel on tend soit cohérent au regard de la stratégie : l’intérêt est donc de canaliser les dépassements, pour éviter que chacun tire (trop) dans son sens (et donc dans tous les sens !).
    • Sauf si, dans une certaine mesure, le système d’entreprise est conçu pour en tirer parti, notamment dans une optique d’innovation. (façon Google, par exemple).
    • La GRH, et en particulier la gestion des compétences, trouvent également leurs applications ici, en contribuant justement à définir ce que peuvent être, et à intégrer dans le mouvement global, ces dépassements de fonctions individuels.
  • Il faut également que l’organisation soit capable d’améliorer sa gestion des heurts et erreurs, si elle veut favoriser cet apprentissage permettant le passage vers l’état suivant : un jeu aussi large, mais avec moins d’aléas. Autrement dit, parvenir à une véritable culture d’amélioration continue.

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